mardi 5 février 2013

A vous la parole : Instant choisi, " Cape et poignard '' de Fritz Lang par Julien Morvan




CAPE ET POIGNARD (Cloak and Dagger)
Fritz Lang, 1946

Cape et poignard n’est pas un film emblématique dans l’œuvre de Fritz Lang – il est même largement méconnu de beaucoup. Lorsqu’il débuta le tournage de cette classique histoire d’espionnage, le réalisateur allemand était exilé depuis 10 ans aux Etats-Unis et avait déjà réalisé Les bourreaux meurent aussi (1943) et La rue rouge (1945). Même s’il n’atteint pas aux précédents, ce premier film d’après guerre offre quelques passages savoureux, notamment lorsqu’ils concernent les mésaventures italiennes d’un chercheur américain, espion malgré lui. Dans ce rôle quasi sur-mesure, Gary Cooper s’amuse à incarner un physicien aux phrases simples (il exigea que ce fut le cas) qui doit tuer un homme à mains nues.



Incarnation allemande du surréalisme allemand des années 1920, au même titre que Murnau, exilé pour continuer à dénoncer le régime nazi dans son cinéma, Fritz Lang s’offre avec Cape et poignard le luxe étonnant d’une fin hollywoodienne classique. On sait qu’une version alternative plus engagée fut écrite (elle évoquait les menaces d’une utilisation de l’arme atomique par les hommes, quelques années avant Le jour où la terre s’arrêta de Robert Wise) mais les producteurs ne l’envisagèrent probablement pas.






Le personnage de Gary Cooper – américain par excellence – séduit la jeune résistante italienne qui doit l’aider pour sa mission en Europe mais il doit repartir gagner la guerre aux Etats-Unis. Dans un champ, un avion se pose, la porte s’ouvre et les amants s’enlacent une dernière fois. Une scène d’une banalité affligeante, presque indigne du réalisateur de M le Maudit (1931) mais que je n’ai jamais oublié. On pense à la scène finale de Casablanca (M. Curtiz, 1942) et on croit Gary Cooper lorsqu’il dit à cette jeune beauté qu’il ne reverra jamais « Je reviendrai après la guerre ! ». Toute l’Amérique est là, sur le pas de cette porte, le regard sincère et lointain, la main levée, protectrice et déjà nostalgique. Une Amérique conquérante et désormais suprême, magnifiée par Hollywood. Comme les nuages orange-pourpre au dessus de Tara, comme Ethan Edwards retournant prisonnier du désert par l’entrebâillement obscure d’une porte, comme Charlton Heston ouvrant une mer rouge de studio sous l’œil excessif de Cecil B. DeMille et d’un ciel chargé de nuages sombres, le regard de Gary Cooper associé à la musique de Max Steiner continuent de me faire rêver pour de bon, de me faire aimer cet Hollywood un peu éteint, un peu désuet, un peu mélancolique. Le mythe revêt toujours un côté enfantin, aussi chargé d’émotion que les yeux tristes d’une jolie italienne quand l’avion décolle, aussi heureux de voir que le héros triomphe. Et qu’il reviendra peut-être.

 © Julien Morvan

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