CAPE
ET POIGNARD (Cloak and
Dagger)
Fritz
Lang, 1946
Cape
et poignard n’est pas un film
emblématique dans l’œuvre de Fritz Lang – il est même
largement méconnu de beaucoup. Lorsqu’il débuta le tournage de
cette classique histoire d’espionnage, le réalisateur allemand
était exilé depuis 10 ans aux Etats-Unis et avait déjà réalisé
Les bourreaux meurent aussi (1943)
et La rue rouge
(1945). Même s’il n’atteint pas aux précédents, ce premier
film d’après guerre offre quelques passages savoureux, notamment
lorsqu’ils concernent les mésaventures italiennes d’un chercheur
américain, espion malgré lui. Dans ce rôle quasi sur-mesure, Gary
Cooper s’amuse à incarner un physicien aux phrases simples (il
exigea que ce fut le cas) qui doit tuer un homme à mains nues.
Incarnation
allemande du surréalisme allemand des années 1920, au même titre
que Murnau, exilé pour continuer à dénoncer le régime nazi dans
son cinéma, Fritz Lang s’offre avec Cape
et poignard le luxe étonnant d’une fin
hollywoodienne classique. On sait qu’une version alternative plus
engagée fut écrite (elle évoquait les menaces d’une utilisation
de l’arme atomique par les hommes, quelques années avant Le
jour où la terre s’arrêta de Robert
Wise) mais les producteurs ne l’envisagèrent probablement pas.
Le
personnage de Gary Cooper – américain par excellence – séduit
la jeune résistante italienne qui doit l’aider pour sa mission en
Europe mais il doit repartir gagner la guerre aux Etats-Unis. Dans un
champ, un avion se pose, la porte s’ouvre et les amants s’enlacent
une dernière fois. Une scène d’une banalité affligeante, presque
indigne du réalisateur de M le Maudit
(1931) mais que je n’ai jamais oublié. On pense à la scène
finale de Casablanca
(M. Curtiz, 1942) et on croit Gary Cooper lorsqu’il dit à cette
jeune beauté qu’il ne reverra jamais « Je reviendrai après
la guerre ! ». Toute l’Amérique est là, sur le pas de
cette porte, le regard sincère et lointain, la main levée,
protectrice et déjà nostalgique. Une Amérique conquérante et
désormais suprême, magnifiée par Hollywood. Comme les nuages
orange-pourpre au dessus de Tara, comme Ethan Edwards retournant
prisonnier du désert par l’entrebâillement obscure d’une porte,
comme Charlton Heston ouvrant une mer rouge de studio sous l’œil
excessif de Cecil B. DeMille et d’un ciel chargé de nuages
sombres, le regard de Gary Cooper associé à la musique de Max
Steiner continuent de me faire rêver pour de bon, de me faire aimer
cet Hollywood un peu éteint, un peu désuet, un peu mélancolique.
Le mythe revêt toujours un côté enfantin, aussi chargé d’émotion
que les yeux tristes d’une jolie italienne quand l’avion décolle,
aussi heureux de voir que le héros triomphe. Et qu’il reviendra
peut-être.
© Julien Morvan
© Julien Morvan
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